JOURNÉE D’INFORMATION MÉDICALE ET D’ÉCHANGES

12 octobre 2019 –  Hôpital Saint-Louis

Synthèse des échanges

Mme Valérie QUINET-REBEIX – Sophrologue bénévole pour EGMOS à l’hôpital Saint Louis

Depuis l’année dernière, des séances de sophrologies sont offertes à tous les patients de l’hôpital Saint-Louis qui en font la demande. Des séances individuelles ont lieu le vendredi à partir de 16 heures dans le service d’Hématologie Greffe. Des séances de groupe sont aussi offertes à tous les patients les jeudis de 11h30 à 12h30 dans la salle de réunion de la polyclinique d’Hématologie Oncologie.

 Valérie Quinet-Rebeix pratique la sophrologie depuis environ 5 ans. Atteinte d’une maladie génétique rare, la pratique de la sophrologie lui a apporté une liberté et un regard nouveau sur sa maladie. Elle s’est par la suite inscrite à l’Académie de sophrologie de Paris du Dr Chene, gynécologue obstétricien. Après avoir obtenu son diplôme de sophrologue  et avoir beaucoup pratiqué, elle a ressenti le besoin de donner aux autres en retour. Elle a ainsi décidé d’offrir des séances bénévoles aux patients de Saint-Louis.

 LA SOPHROLOGIE

La sophrologie a été créée par le Professeur A. Caycedo (neuropsychiatre) en 1960, dans le but  d’apporter un mieux-être à ses patients. Il a été inspiré par :

  • l’école phénoménologique (étude de la conscience et des valeurs de l’existence – Husserl)
  • La psychologie occidentale (Jung, Freud, Jaspers)
  • Les Techniques de relaxation (Jacobson, Schultz)

Le Professeur Caycedo souhaitait au départ utiliser l’hypnose, mais cette discipline était à l’époque considérée comme trop intrusive. Il a alors tenté de trouver un autre moyen de parvenir à ses fins. Il est donc parti en Orient pendant 3 ans, notamment en Inde et au Japon, pour étudier de façon scientifique les techniques éprouvées sur place (yoga, hypnose, méditation et zazen*). Il a par la suite adapté ces techniques à la société occidentale et a créé la sophrologie à son retour en Europe.

Lorsque le patient est atteint d’une maladie psychique, la sophrologie ne se focalise pas uniquement sur l’esprit, elle prend également en compte le corps. Inversement, pour un patient souffrant d’une maladie physiologique, le ressenti de la maladie sera étudié.

La sophrologie comprend par ailleurs une dimension phénoménologique : prendre conscience de son corps (par exemple de la sensation du dos contre la chaise, du tissu des vêtements contre la peau, etc.)

Les objectifs :

  • Prendre le recul nécessaire sur les choses vécues, sans jugement
  • Harmoniser les sensations corporelles, psychologiques et émotionnelles
  • Retrouver, stimuler et entretenir son énergie vitale, ses capacités de lutte
  • Dynamiser de façon positive les qualités et les ressources de la personne

SOURCES ET ORIGINES

Les principes de base :

  • L’action positive : toute pensée positive se répercute sur le corps et l’esprit.

*Ndlr :  Za signifie « assis » et zen signifie « méditation ». Zazen renvoie à la posture assise qu’aurait adoptée le Bouddha pendant ses méditations. Cet état de méditation permettrait de porter toute sa concentration sur la respiration, et ainsi de se relaxer en profondeur.

2)            Le schéma corporel comme réalité vécue, particulièrement important après avoir reçu des traitements : comment je perçois mon corps, remettre la personne dans sa réalité corporelle, ressentir la vitalité en soi.

3)            La réalité objective : le sophrologue doit être capable de connaître sa propre « météo personnelle », pour ne pas entrer en confusion avec celle du patient.

4)            L’adaptabilité permanente aux besoins du patient.

Les outils :

  • Corporels : la respiration, la relaxation, les postures (les patients se tiennent assis ou debout mais très rarement couchés, sinon ils risquent de très vite s’endormir) et les 5 sens.
  • Mentaux : la concentration (en cas de douleur, on permet aux patients de se focaliser sur autre chose pour l’oublier), la méditation, la visualisation et l’imagination.
  • Autres : revenir à l’instant présent, les projections futures (utilisées quand le patient est angoissé à l’idée de sortir de l’hôpital, pour le sécuriser), la mobilisation du passé (aller puiser des ressources qui seront utilisées pour des situations de la vie de tous les jours), la recherche de ses capacités et de ses valeurs.

ÉVENTAIL DE LA CONSCIENCE

Conscience pathologique : elle demeure réservée au psychiatre.

Conscience ordinaire : lorsque l’on fait plusieurs choses en même temps dans la vie de tous les jours, on ne se rend plus compte de ce que l’on est en train de faire.

Conscience sophrologique : On l’appelle aussi pleine conscience. Etre disponible à la fois à ce qui se vit à l’intérieur, aux émotions, aux sensations, à l’écoute du corps et en même temps conscient des actes de pensées, de leur contenu et du monde à l’extérieur. Une présence à soi indispensable pour un mieux-être au quotidien.

 

LE SOPHROLOGUE

 

Il est une sorte de guide de haute montagne : il guide la personne et lui montre ses capacités (les sommets), tout en veillant à ce qu’il ne tombe pas. Il établit le protocole et créé le texte de chaque séance en fonction des problématiques de la personne. Il pratique une écoute attentive, neutre, dans une relation de confiance, pour créer une connexion à l’autre sans jugement, en toute humilité et bienveillance. Le sophrologue doit avoir pratiqué sur lui-même avant de pouvoir le faire sur les autres. Il ne touche pas la personne et n’induit ni n’interprète rien, afin de ne pas faire intrusion dans la sphère intime de la personne. Il est enfin tenu au secret professionnel.

SOPHROLOGIE ET MÉDECINE

 L’aide que peut apporter la sophrologie aux patients dans leur parcours de santé est immense. Elle est inscrite dans les soins de support proposés aux malades dans le plan anti-cancer 2014-2019. Elle peut être dispensée à n’importe quel moment du parcours de soin.

Souvent, les patients présentent des croyances erronées (ex : « Le traitement ne va pas me guérir »). La sophrologie va agir sur cette croyance pour la transformer et donner au malade les moyens de réussir sa guérison. Elle ne se substitue pas au traitement médical mais peut apporter de grands bénéfices.

Cette discipline vise à rendre les patients acteurs de leur santé. Ces derniers ont en effet souvent l’impression de n’être qu’un corps qui subit, sans avoir leur mot à dire. Le but est donc de redonner sa place à la personne.

Ses grands axes sont :

o   Aide aux traitements (acceptation et observance)

o   Réduction de l’anxiété, du stress

o   Préparation aux interventions, aux traitements lourds

o   Gestion de la douleur aiguë ou chronique

o   Gestion de la fatigue

o   Renforcement des ressources propres du patient face à la maladie, se découvrir acteur de sa santé

o   Redéploiement existentiel après la maladie

 

LE CHEMINEMENT INTÉRIEUR

Elisabeth Kübler-Ross est une psychiatre helvético-américaine, première femme médecin à s’être intéressée à la fin de vie. Elle a également travaillé avec des enfants atteints du sida.

La courbe ci-dessus, réalisée par elle, correspond au parcours de vie du patient pendant sa maladie. Après le choc initial de l’annonce de la maladie vient le déni, puis la frustration (il est important d’exprimer sa colère pour ne pas qu’elle perdure), puis la dépression. Souvent, les patients évoquent une sensation de  mal-être, même une fois guéris.

Le sophrologue peut intervenir à tous les stades du parcours, mais le plus tôt reste le mieux. Il va aider le patient à faire progressivement « remonter sa courbe » par une prise de conscience, pour devenir acteur de sa propre guérison.

APPORTS BÉNÉFIQUES DE LA SOPHROLOGIE

Durant l’hospitalisation, le patient ressent une grande solitude. Il convient alors de renforcer sa capacité de prise en charge, en allant chercher des ressources dont il n’a pas conscience afin d’autoriser son corps à se détendre.

Au cours des traitements, on travaille sur le souffle pour traiter la douleur, en plus de la visualiser par l’imagination (ex. : « J’ai vu ma douleur comme quelque chose de très rude, j’ai mis de la Soupline dessus et après c’était tout doux »).

La sophrologie intervient par ailleurs pour stimuler le système immunitaire : on peut aider son corps, on en a le droit.

Après la maladie, un travail est effectué sur la confiance en soi et l’amour de la vie, que celle-ci soit bonne ou mauvaise.

DIFFÉRENT ÉTATS DE SANTÉ, INTERVENTION DU SOPHROLOGUE

« Scientifique » : aspects clinique et diagnostic. « On est ou on n’est pas » en bonne santé – malade, c’est le verdict qui tombe, le choix n’existe pas, c’est ainsi.

« Personnel » : ce que nous ressentons, quel regard nous portons sur notre maladie, comment nous la vivons. Nos croyances, nos conditionnements face à la maladie, aux traitements, à l’équipe médicale…

La sophrologie va prendre en compte l’état de santé « personnel» du malade (dépasser l’idée de maladie) afin de l’amener vers un état  de mieux-être profond, serein, pour prendre le dessus  sur l’état de santé « scientifique » qui pourra être mieux vécu. Cet état de santé s’apprend, se cultive, s’entretient tout au long de la vie.

Au final, le but est de changer la façon de vivre du malade pour lui permettre d’exister malgré la maladie (par exemple de voir le verre « à moitié plein »).

LA SOPHROLOGIE : UN ACCOMPAGNEMENT PENDANT UNE ALLOGREFFE

L’allogreffe est souvent source d’angoisse, parfois de souffrance morale et/ou physique, et dans tous les cas d’un isolement prolongé, ainsi que d’un sentiment d’impuissance face à la maladie.

La sophrologie vise à aider la personne à développer ses potentiels de guérison par une meilleure connaissance d’elle-même, à éduquer ses pensées et ses certitudes (croyances, conditionnements, connaissances) pour se sentir mieux et pour guérir : « Arracher les mauvaises herbes de son jardin pour ne laisser que les jolies fleurs ».

Pendant les moments difficiles de la maladie et particulièrement au cours d’une allogreffe, la sophrologie peut apporter un accompagnement réconfortant aux patients. Elle permet au patient d’être acteur de son expérience de vie et non plus spectateur, de développer son potentiel de guérison et de reprendre confiance en lui. Ce dernier participe activement à sa guérison, qui devient son objectif.

SÉANCES DE SOPHROLOGIE

La première séance dure une heure, les suivantes 45 minutes. Les séances ont lieu au chevet du patient ou dans un endroit calme.

Les séances se déroulent selon 3 temps :

1)       Amener la personne au bord du sommeil par la relaxation ;

2)       Techniques physiques, de visualisation, d’imagination et de représentation de soi ;

3)       Reprise du tonus corporel, retour au niveau de veille et écoute sur le vécu de la séance.

Un enregistrement des séances est proposé afin d’autonomiser la personne et lui permettre de répéter les séances sans la présence du sophrologue, à n’importe quel moment de la journée.

EXEMPLE DE SÉANCE INDIVIDUELLE

Accueillir les Cellules Souches Hématopoïétiques (CSP) de son donneur : visualisation et imagination.

On amène le patient à accueillir les CSP de son donneur comme s’il accueillait un ami, avec amour et bienveillance, les visualiser, les accompagner dans la moelle, les imaginer se multiplier et se transformer en globules rouges, plaquettes… Les aider à trouver leur chemin dans ce corps encore inconnu…

Phénodescription : « petites cellules bleues peu nombreuses qui sautent et se multiplient dans mon corps, je les rassure et je les accueille avec plaisir et confiance ».

TÉMOIGNAGES

o   « J’ai ressenti une légèreté agréable et confortable. »

o   « J’étais en sécurité, j’ai ressenti un relâchement dans tout le corps et des fourmillements, le sentiment que mon corps se réveillait enfin. »

o   « Je suis fière de mon corps et j’ai confiance en lui. »

o   « Je comprends que je ne dois pas avoir peur de vivre sans l’équipe médicale, je suis prête à me réapproprier ma vie. »

o   « Je me suis sentie légère, une couleur rouge est apparue, rassurante et apaisante. »

o   « Se sent plus calme, plus sereine, est surprise de ne plus ressentir de douleurs. »

o   « Je suis ravie, j’avais besoin de ressentir mes cellules saines et paisibles. »

o   « J’avais la sensation de sentir mon corps planer, être léger, cela m’a fait beaucoup de bien. »

CONCLUSION

Valérie Quinet-Rebeix  juge son bilan positif, malgré le faible nombre de patients traités en raison d’un manque de temps. Les accompagnants assistent parfois aux séances. Ces personnes sont souvent inquiètes pour le malade, il est donc important de pouvoir les accompagner.

Les patients hospitalisés, les soignants et les accompagnants formulent des demandent spontanées de prise en charge. Les patients hospitalisés qui ont bénéficié des séances souhaitent poursuivre et utilisent facilement les enregistrements qui demeurent un vrai plus dans leur parcours de soins.

Les patients se sentent davantage acteurs de leur santé et moins objet de leur maladie ou de la médecine. Les séances leur permettent de sortir de l’isolement, de discuter entre eux, d’échanger et de prendre conscience qu’ils ne sont pas seuls.

PERSPECTIVES

Il existe un besoin de communication, car les patients affirment souvent ne pas être informés des séances (en groupe ou individuelles). Il est nécessaire de disposer de temps pour accompagner sereinement les patients. Il pourrait par ailleurs être utile d’accompagner les aidants.

Une autre piste serait de mener une étude prospective, avec pour objectif d’évaluer le bénéfice apporté par la sophrologie aux patients. Des questionnaires seraient distribués après les séances à tous les patients, puis centralisés dans un recueil anonyme.

QUESTIONS COMPLÉMENTAIRES

De nombreux de patients demandent à EGMOS d’organiser des groupes de greffés pour qu’ils échangent ensemble. Serait-il possible de lancer un groupe public avec une sophrologue pour faire face à la solitude des patients ?

Un groupe pourra être organisé après la séance.

Les témoignages présentés sont majoritairement féminins. Les femmes sont-elles plus ouvertes à la sophrologie ?

Un seul homme figure dans le groupe, alors que les patients hospitalisés suivis en sophrologie sont presque tous des hommes.

J’ai effectué des séances à domicile, il m’a fallu une dizaine de séances pour obtenir une réelle amélioration. Je n’avais auparavant pas la force de sortir de chez moi, la sophrologie individuelle m’a beaucoup aidé.

Les séances individuelles s’adaptent à la personne  et à sa problématique. Les séances de groupe sont moins spécifiques même si à l’hôpital, je m’adapte au type de problématique rencontré par le public concerné, en l’occurrence, les patients (ex. de séances : se préparer à la chimiothérapie, retrouver sa verticalité, conscience corporelle, l’image de soi après une chimiothérapie, le sommeil, la diététique, stimuler la cicatrisation, accompagnement pour la vie après la maladie…)

Existe-t-il des patients non réceptifs ?

Non, en tout cas aucun n’en ont fait part. Il existe cependant quelques cas de personnes nécessitant un peu plus de temps pour arriver à se relâcher.

La sophrologie ne présente-t-elle pas un risque pour le patient de tomber dans le contrôle permanent ?

Le but est au contraire de retrouver un regard d’enfant, d’apprendre à s’émerveiller des petites choses. Cela finit par devenir automatique. Tout le monde peut y arriver. Il convient de se débarrasser des conditionnements, des jugements sur soi et du regard des autres. Le lâcher prise est le contraire du contrôle permanent.

En tant que praticienne, êtes-vous fatiguée après une séance ?

Non, au contraire je me sens bien.

Vous comparez le sophrologue à un guide de haute montagne. Comment faites-vous pour éviter que le patient ne « tombe » ?

L’idée est toujours d’actionner le positif, jamais le négatif.

 Quels sont les mécanismes utilisés pour lutter contre la fatigue ?

On apprend au patient à être plus en contact avec son corps, à être plus ancré, à mieux respirer pour mieux oxygéner son corps, ses organes vitaux, ses muscles, apporter de l’énergie, de la vitalité. Souvent, les personnes ne savent pas respirer et bloquent de façon incontrôlée leur respiration.

A partir de quel âge les enfants peuvent-ils pratiquer ?

Les activités ludiques peuvent démarrer à partir de 4 ans. Je n’ai personnellement jamais exercé sur des enfants.

Il serait bon de davantage communiquer sur cette discipline.

Il est vrai qu’elle souffre d’un manque de renommée.

Qu’en est-il du suivi psychologique des patients ?

De nombreux patients ont un suivi psychologique en plus des séances de sophrologie, tandis que d’autres n’en n’ont pas. Par ailleurs, tout le monde n’a pas besoin de sophrologie mais elle peut être utile à tous.

Existe-t-il des différences selon les séances ?

Les séances sont différentes selon les personnes. Chaque patient arrive en effet avec son histoire personnelle, sa problématique du moment, ce qui nécessite d’adapter l’approche en permanence.