Synthèse de la présentation du Pr Jean-David Bouaziz, dermatologue à l’hôpital Saint-Louis, Paris

Journée d’Information Médicale et d’Échanges du 8 octobre 2022

 

QUELQUES RAPPELS

 

À propos de la GvH

La GvH chronique est une complication assez fréquente (30 % des cas) de l’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques. On cherche à tout prix à éviter la forme sévère car le risque de complication fatale post-allogreffe est plus important. Idéalement, on voudrait que les malades fassent un petit peu de GvH car cela signifie que l’on a aussi beaucoup de GvL (Graft-versus-Leukemia), et l’intérêt d’une allogreffe est que le système immunitaire du donneur soit assez fort pour permettre aux cellules leucémiques d’être éliminées et éviter que la maladie récidive.

À propos de la peau

La peau est un organe très important dans le métabolisme de l’être humain. Elle permet de réguler la température : quand vous avez trop chaud, vous transpirez, et quand vous avez trop froid, vous frissonnez car les muscles érecteurs des poils vont se contracter et produire de la chaleur. La peau est également une ligne de défense contre les infections externes – microbes, bactéries, champignons, virus. La peau est aussi un organe immunitaire très vaste, car c’est l’un des tissus de l’organisme qui contient le plus de lymphocytes (globules blancs). Enfin, la peau a une fonction barrière : si elle ne fonctionne plus correctement, l’eau comme les nutriments ne restent pas dans le corps.

La peau est composée de plusieurs couches : l’épiderme ; le derme, avec des artérioles, des cellules, des capillaires ; l’hypoderme, composé de cellules adipeuses séparées par des cloisons que l’on appelle les septas ; le fascia, une couche de tissu qui recouvre le muscle. Cette dernière couche est parfois inflammée dans la GvH chronique : on parle de la fascite de la GvH chronique, qui peut se traduire par des douleurs, des crampes ou une limitation dans les amplitudes articulaires. Lors du suivi post-allogreffe, les hématologues, les dermatologues, les rhumatologues et les internistes demandent au patient de mettre les bras en l’air dans différentes positions pour voir si ces fascias ne sont pas atteints ou inflammés.

En médecine, on parle d’inflammation quand la peau est rouge, douloureuse, chaude et œdémateuse. La fibrose est une forme d’inflammation qui se traduit par l’épaississement du collagène des tissus et un durcissement de l’épiderme, du derme et du fascia, induisant une diminution les amplitudes articulaires.

 

LES INFLAMMATIONS POST-ALLOGREFFE

 

La GvH chronique après l’allogreffe se traduit par deux formes prototypiques d’inflammation : le lichen plan de la GvH, qui donne des plaques violacées, et la GvH dite sclérodermiforme, qui donne des lésions indurées et sclérosantes. Bien que les mécanismes moléculaires du lichen et de la sclérose soient différents, ces deux inflammations peuvent passer par un stade intermédiaire (le lichen scléro-atrophique) présentant des éléments inflammatoires communs. Une autre atteinte cutanée peut survenir après l’allogreffe : la GvH poïkilodermique. Celle-ci se traduit par des zones rouges-violettes (lichen plan) qui vont passer par différents stades évolutifs : des rougeurs (érythème) ; une modification de la coloration de la peau (hypo-pigmentation, hyper-pigmentation) ; une peau qui brille sous l’effet de l’amincissement de l’épiderme (atrophie) ; une plus grande sensibilité de la peau, des démangeaisons, voire des douleurs provoquées par la dilatation des petits vaisseaux (télangectasies).

Le lichen plan

Le lichen plan de GvH se traduit par des lésions soit complètement planes, soit un peu infiltrées (cf. page 7). Ces lésions forment des plaques prurigineuses (démangeaisons) qui sont plus ou moins étendues sur la surface corporelle.

La GvH chronique sclérodermiforme

Les lésions sclérosantes, que l’on appelle aussi des morphées, se traduisent par des plaques scléreuses (la peau perd son élasticité normale) d’aspect nacré. Ces plaques se développent notamment dans des zones où la peau est agressée – par exemple par le frottement d’une ceinture, d’un pantalon trop serré, d’un sac porté en bandoulière. Ces lésions peuvent être superficielles : dans ce cas, seuls l’épiderme et le derme superficiel sont touchés. Mais l’accumulation de collagène peut atteindre les couches profondes de la peau (hypoderme), donnant un aspect pseudo-cellulitique qui est gênant sur le plan esthétique et qui peut entraver la capacité à se mouvoir car l’abdomen est très dur.

La fascite de la GvH

En cas de fascite de la GvH, la sclérose dépasse l’hypoderme pour atteindre le fascia. Cette inflammation est non seulement gênante sur le plan esthétique mais elle peut aussi, dans les formes sévères, empêcher d’étendre complètement le genou ou le coude et de lever les bras. Au début du traitement de la GvH chronique, les médecins testent la capacité du patient à adopter certaines positions (« range of motion »), puis la réévaluent au fur et à mesure pour voir si la peau se détend et si l’état du patient s’améliore. Il peut rester des séquelles, mais plus le traitement commence tôt, plus il peut améliorer les choses.

 

LES TRAITEMENTS

 

La cortisone

En cas de GvH de la peau dite légère, on peut utiliser de la cortisone en crème (Diprosone, Dermoval, Clarelux). Si la cortisone à petite dose (0,2 ou 0,3 mg/kg) est efficace à court terme, elle peut, à long terme et/ou à plus forte dose, avoir des effets négatifs : atrophie des muscles, fragilisation des tendons, ostéoporose, voire diabète et augmentation des risques cardiovasculaires. Si la GvH est sévère, on est obligé d’administrer de fortes doses de cortisone, qui reste pour l’instant l’étalon or du traitement de la GvH chronique. Donnée sur une courte période, elle permet de calmer la GvH et d’éviter que le système immunitaire qui a été greffé finisse par abîmer la peau, l’œil, le poumon, le foie ou le tube digestif. Y associer la cyclosporine, un autre immunosuppresseur, permet de réduire la durée d’administration de la cortisone et ainsi d’éviter ses effets secondaires à long terme.

Des traitements complémentaires

Il y a 4 ou 5 ans encore, si la cortisone ne suffisait pas, on pouvait y adjoindre un traitement dit « d’épargne cortisonique ». Le meilleur d’entre eux était la photochimiothérapie extracorporelle : cette technique assez ancienne consiste à centrifuger le sang du patient et à l’exposer aux UV du soleil pour rendre les lymphocytes un peu plus anti-inflammatoires et, après réinjection, calmer la GvH. On pouvait aussi utiliser un immunosuppresseur comme le mycophenolate mofetil (Mifortic) ou le methotrexate, un inhibiteur de mTOR (Rapamune), ou des traitements ciblant les lymphocytes B (rituximab, ibrutinib).

Les nouveaux traitements

  • En cas de résistance à la cortisone, ou s’il est nécessaire d’en donner sur une longue durée, le meilleur traitement complémentaire est aujourd’hui le ruxolitinib (Jakavi), qui a reçu l’autorisation de mise sur le marché en France et aux États-Unis. Ce traitement, qui fait partie d’une nouvelle classe d’anti-inflammatoires, inhibe une molécule de l’inflammation, JAK (Janus kinase). En cas de GvH chronique cortico-résistante, 10 mg de ruxolitinib le matin et 10 mg le soir apportent une amélioration dans plus de 60 % des cas (contre 40 % avec les anciennes molécules).
  • Un nouveau médicament, pas encore disponible sur le marché en France mais qui a été approuvé par la Food and Drug Administration aux États-Unis, semble très intéressant dans la GvH chronique : le belumosudil, qui inhibe une autre molécule de l’inflammation, ROCK2. L’inhibition de cette molécule permet à la fois de diminuer les lymphocytes T effecteurs IL-17 qui contribuent à l’inflammation, et de stimuler les lymphocytes T régulateurs qui permettent de calmer l’inflammation. Ce traitement a montré une telle efficacité au cours de l’étude en cours, que son utilisation a été autorisée aux États-Unis avant même l’achèvement de la phase 3 de cette étude. Il est possible que le belumosudil devienne, dans les années qui viennent, l’un des principaux médicaments pour traiter la GvH chronique résistant à la cortisone.

Une nouvelle piste de recherche

Avant une allogreffe, on réalise un conditionnement par chimiothérapie dont le but est de supprimer toutes les cellules leucémiques mais aussi tous les lymphocytes présents dans le corps. Une fois greffé, le patient a un nouveau système immunitaire avec une nouvelle population de lymphocytes issue de la transplantation. Mais plusieurs études ont récemment permis de découvrir qu’après l’allogreffe, le patient conserve certains de ses propres lymphocytes qui ont survécu au conditionnement (cf. page 16). Cela signifie qu’en cas de GvH, ces lymphocytes participent eux aussi à l’inflammation. Cette découverte est intéressante sur le plan conceptuel : mieux comprendre les mécanismes de la GvH permettra en effet, dans les années qui viennent, de la traiter avec plus d’efficacité.

 

UNE ÉTUDE RÉALISÉE GRÂCE AU SOUTIEN D’EGMOS

 

Grâce aux dons d’EGMOS, une recherche a été menée à l’hôpital Saint-Louis pour regarder, par séquençage à haut débit de l’ARN messager (RNA sequencing), si les signatures inflammatoires (c’est-à-dire les gènes qui s’expriment au cours de l’inflammation) du lichen plan et de la sclérose de la GvH cutanée étaient les mêmes ou non. L’enjeu de cette étude était de déterminer si, au lieu d’utiliser les mêmes molécules pour traiter un lichen sévère et une sclérose sévère comme on le fait aujourd’hui, on pouvait s’orienter vers des traitements anti-inflammatoires différenciés et donc mieux ciblés.

Il en ressort que les signatures inflammatoires du lichen plan et de la sclérose se ressemblent mais sont malgré tout différentes. On s’est notamment rendu compte que le gène TREM1, qui est un gène de l’inflammation, est beaucoup plus élevé dans le lichen plan que dans la sclérose. Cela suggère que l’administration d’un inhibiteur de TREM1 dans le lichen plan pourrait très intéressant.

Cette étude a été publiée l’année dernière dans la revue Blood Advance. On y remercie avec beaucoup de chaleur l’association EGMOS qui a permis de financer ces recherches.

 

Vous pouvez consulter la séance de questions-réponses qui a suivi cette présentation sur le site www.egmos.org à la rubrique Actualités.

 

QUESTIONS-RÉPONSES

 

Jean-Marc Gornet : Est-il moins dangereux pour la peau de donner des corticoïdes par voie orale plutôt que par voie cutanée répétée, chez les patients cortico-dépendants ?

Jean-David Bouaziz : Dans les GvH légères, si seule la peau est atteinte, je pense qu’il est beaucoup moins dangereux de mettre de la cortisone en crème. Elle finira certes par fragiliser la peau, mais uniquement si on l’utilise très, très longtemps. J’en profite pour dire qu’en dermatologie, on utilise parfois une autre crème pour les GvH légères : le tacrolimus topique (Protopic) qui, à long terme, a l’avantage de ne pas affiner ou atrophier l’épiderme.

 

Comment savoir si des démangeaisons, des douleurs, des plaques de la peau, sont de la GvH ou une réaction à toute la série de médicaments que nous sommes obligés de prendre après la greffe ?

Jean-David Bouaziz : La plupart du temps, on arrive à dire en regardant la peau si c’est de la GvH, car le lichen plan et la morphée ont un aspect particulier. Si l’on a un doute, on fait une biopsie cutanée, c’est-à-dire un prélèvement de peau que l’on fait ensuite analyser au laboratoire d’anatomopathologie.

 

Est-ce que le Jakavi ne risque pas de poser des problèmes de rein ? J’en ai pris dans le cadre de la myélofibrose avant la greffe, et ça avait beaucoup détérioré la fonction rénale – qui s’est réaméliorée depuis.

Jean-David Bouaziz : On utilise effectivement le Jakavi depuis plusieurs années dans une maladie hématologique que l’on appelle les syndromes myéloprolifératifs. La plupart du temps, ce médicament est bien toléré. Il peut diminuer les chiffres de globules blancs ou les lipides (triglycérides, cholestérols) que l’on a dans le sang, mais il affecte très rarement le rein. Je pense que vous n’avez pas été chanceuse car cela reste un effet secondaire très rare. Cependant, les doses que vous avez dû recevoir sont probablement un peu plus importantes que celles que l’on donne dans la GvH chronique.

 

Est-ce que la cyclosporine ne risque pas de faire disparaître le greffon ?

Jean-David Bouaziz : Non, ça peut éventuellement calmer les lymphocytes du greffon mais ça ne peut pas le faire disparaître. Ce sont des petites doses, qui ne peuvent absolument pas détruire le système immunitaire.

 

En cas de GvH cutanée, y a-t-il des partenariats avec d’autres spécialistes comme les gynécologues et les ophtalmologistes ?

Jean-David Bouaziz : Nous travaillons avec des gynécologues ainsi qu’avec des ophtalmologistes de l’hôpital Bichat et de la fondation Rothschild, dont certains sont venus présenter la GvH de l’œil lors de précédentes réunions d’EGMOS. Cela reste une approche multidisciplinaire qui nécessite des médecins experts, en particulier pour les yeux car le syndrome sec oculaire exige une vraie sur-expertise.

 

Le Jakavi ou le Belumosudil doivent-ils être pris à vie ?

Jean-David Bouaziz : Pas obligatoirement. Certains patients vont en avoir besoin pendant longtemps, mais la plupart du temps on arrive à arrêter ces médicaments anti-inflammatoires. Ce qu’expliquent très bien les hématologues, c’est que souvent, le greffon finit par s’adapter au bout d’un certain temps.

 

Je souffre du syndrome sec de la GvH au niveau de la peau. L’hématologue m’a dit de mettre de la crème sur le corps tous les jours, sinon ça démange. Est-ce que ça va s’estomper au fil du temps ?

Jean-David Bouaziz : Le syndrome sec de la GvH induit une diminution de la sécrétion de salive dans la bouche, du lubrifiant au niveau des yeux (notamment dans les larmes) et des sécrétions de la peau, provoquant une sécheresse des muqueuses et de la peau. Il est essentiel de mettre de la crème hydratante, que l’on ait un syndrome sec ou pas : quand on a une peau sèche qui démange ou qu’il y a de la GvH, ça permet d’améliorer l’atrophicité de la peau. Donc votre hématologue a bien fait de vous conseiller d’appliquer le plus possible des crèmes hydratantes ou des émollients. Est-ce que ça va continuer tout le temps ? Pas forcément. Ce syndrome sec résulte d’une inflammation de toutes les glandes qui produisent les lubrifiants du corps, et il est possible qu’à un moment donné, une fois que la GvH se calme, votre peau ou votre œil se remettent à en produire. Mais je ne peux pas répondre pour votre cas en particulier car ça dépend vraiment des patients.

 

Je découvre l’hôpital Saint-Louis, que je ne connaissais pas. Étant donné que j’habite en province, est-ce que je peux venir à Paris pour rencontrer des spécialistes concernant la GvH ?

Jean-David Bouaziz : Bien sûr, et je pense que l’association EGMOS sert aussi à rapprocher des patients et des médecins experts de la prise en charge des patients greffés. Mais il est aussi important d’avoir une bonne filière de soins proche de chez soi. Donc, si vous avez déjà de bons médecins qui vous connaissent et qui s’occupent bien de vous, il faut les garder. Un bon médecin, c’est un médecin qui connaît et qui donne du temps, de l’attention et de l’énergie pour ses patients. Ce que vous pouvez faire, c’est venir voir un spécialiste sur Paris qui vous explique un peu les choses, et qui pourra rédiger une lettre pour l’ophtalmo, l’hémato ou le dermato qui vous suit. Ça peut être un suivi alterné. Votre médecin peut aussi nous envoyer un mail, une photo, pour éviter que vous ayez à vous déplacer sur Paris, ce qui représente une contrainte.

 

Pourquoi continuer à soigner avec des produits chimiques plutôt que d’utiliser les produits plus naturels ?

Jean-David Bouaziz : Les produits naturels peuvent être aussi utilisés à partir du moment où ils ne donnent pas d’allergie, mais on n’est pas toujours certain de leur efficacité. La propolis ou l’aloe vera, par exemple, ont peut-être des propriétés hydratantes ou cicatrisantes, mails ils n’ont jamais fait l’objet d’études vraiment scientifiques. Donc s’ils vous font du bien, pourquoi pas, mais en complément des produits allopathiques.

 

Pour la vie de tous les jours des greffés, quelles sont les recommandations en matière d’aliments, de soleil, de chlore dans les piscines ?

Jean-David Bouaziz : On sait qu’il faut autant que possible éviter le soleil car il induit des cassures dans l’ADN au niveau de la peau. Il fait du bien à très faible dose, à l’automne par exemple, parce que c’est bon pour le moral et que ça accentue la vitamine D. Pour les aliments, comme l’a dit Jean-Marc, il faut bien manger, manger équilibré, et il n’y a pas d’exclusion alimentaire à faire en cas de GvH. Sur le plan digestif, certaines personnes vont se rendre compte que tel ou tel aliment les trouble un peu, mais cela change d’une personne à une autre. Concernant le chlore des piscines : une fois passé l’immédiat allogreffe, si vous n’avez pas de GvH et que votre peau n’est pas abîmée, qu’il n’y a pas de plaie, vous pouvez tout à fait aller à la piscine, à condition de mettre une crème hydratante en sortant. Ça assèche, mais ce n’est pas un composant chimique rédhibitoire quand on a été allogreffé.